« Pour moi, le putsch est terminé, et on n’en parle plus ». C’est par ces mots que le Général Gilbert DIENDERE « a suicidé sa carrière de la même manière qu’elle avait été construite » par son mentor, Blaise COMPAORE[1].
1- Une démarche mal emmanchée
Plusieurs jours de concertation durant, à pas de course et à marche forcée, les Présidents Macky SALL du Sénégal et Boni YAYI du Bénin, les médiateurs désignés dans un premier temps par la CEDEAO ont rencontré les protagonistes et les principaux acteurs de la crise Burkinabé. Sur la base de ces contacts et des échanges qu’ils ont eus au Burkina, ils ont cru devoir proposer le texte d’un projet d’accord dont les principaux axes sont les suivants :
- Réinstallation du président Kafando afin de poursuivre la transition politique ;
- Vote d’une loi d’amnistie en faveur des putschistes, ce, avant le 30 septembre 2015 ;
- Tenue des élections législative et présidentielle, au plus tard le 22 novembre 2015 ;
- Validation de toutes les candidatures précédemment rejetées par décision du Conseil Constitutionnel burkinabé ;
- Libération, sans condition, de toutes les personnes détenues en rapport avec les récents événements…
- Le sort du RSP sera traité aux lendemains de la transition par le président qui sera en responsabilité.
Si l’accord et son contenu sont sujets à caution, la méthodologie qui l’a sous-tendu l’est au moins autant. Probablement au même titre que l’irruption du président Hollande
2- Une intrusion approximative manquant de tact
En effet, les contempteurs de cet accord lui font grief, entre autres, du rôle actif du président français qui déclarait que les militaires français basés au Burkina n’étaient pas concernés. Cette assertion ne l’a pas empêché, lors de sa visite d’Etat au Maroc, d’affirmer soutenir « entièrement le dialogue engagé par des chefs d’Etat africains pour revenir au processus de transition ».
Il s’y ajoute que les méthodes choisies par les mandataires de la CEDEAO jurent avec les règles de base de la gestion des conflits. La déclaration de François HOLLANDE, visiblement dans le secret des dieux, alors même que ce projet de texte n’avait pas encore été communiqué officiellement aux parties concernées, avant même que le peuple burkinabé – dans ses différentes composantes – n’en ait eu connaissance, est insupportable et sonne comme une rengaine déjà entendue sous d’autres cieux, dans des circonstances comparables. Le plus insupportable, sans doute, réside dans le fait que le Président HOLLANDE prévient, sur un ton empreint de menaces à peine voilées, que toute personne qui contrarierait la démarche proposée par les médiateurs, serait sanctionnée. Par qui d’ailleurs ?
La suite des évènements jette un éclairage nouveau sur l’attitude du chef de l’Etat français. L’objectif assumé de sa sortie hasardeuse, était manifestement, de rattraper les impairs, couvrir les bévues, et envoyer des messages subliminaux aux parties prenantes de la médiation de la CEDEAO.
Au-delà de cette intrusion, pour le moins malhabile et maladroite, les réserves concernent aussi bien la facilitation que les méthodes de concertation des négociateurs.
3- Une imposture d’Etat
Les médiateurs, dans le cadre de leurs bons offices, ont affirmé avoir rencontré il est vrai, outre le Président Michel KAFANDO, alors en résidence surveillée, mais aussi les acteurs politiques et de la société civile burkinabé. Ragaillardis par ces différentes rencontres et visites, les médiateurs de la CEDEAO ont, dans un premier temps, diffusé le texte d’un projet d’accord de règlement de la crise et, dans un second temps, convoqué une réunion extraordinaire des chefs d’Etats de la CEDEAO en Abuja (Nigéria) en vue de soumettre à leur appréciation le projet de texte d’accord.
Mais à la surprise générale, Le Président Michel KAFANDO, interrogé au sujet de ce projet d’accord, a catégoriquement nié toute implication voire participation dans son élaboration, n’hésitant pas à déclarer qu’il était « réservé »[2] quant à son contenu. Malgré les tentatives d’explication de texte et les dénégations du ministre sénégalais des affaires étrangères[3], l’attitude et le comportement des médiateurs, mais plus spécifiquement du Président Macky SYLLA sont apparus comme hautement « suspects » et leur parole sérieusement « malmenée » et teintée de « mensonge ». Les mauvais esprits sont allés jusqu’à rappeler le caractère « trouble » des relations personnelles qu’entretenait le Président Macky SALL avec le Président Blaise COMPAORE. En effet, il est notoire que le Président SALL est le premier Chef d’Etat de la sous-région, à se prononcer en faveur d’une énième candidature du « parrain présumé » du général félon, Gilbert DIENDERE. En son temps, le Président Macky SALL considérait Blaise COMPAORE comme le seul à même de contribuer « grandement à la stabilité de la sous-région ». Ne serait-ce qu’au titre de ce que le président sénégalais a exprimé publiquement son opinion, à savoir qu’il était « préférable de le laisser (Blaise COMPAORE) se représenter en 2015 », le missi dominici de la CEDEAO, dans sa mission, se savait incapable d’objectivité minimale vis-à-vis du peuple burkinabé, en opposition avec le RSP, le Général DIENDERE et son sponsor présumé Blaise COMPAORE.
C’est la raison pour laquelle, après la tentative de passage en force des médiateurs porteurs d’un projet d’accord mort-né, le maintien de la réunion extraordinaire constituera, sans aucun doute, la seconde faute des chefs d’Etats en charge de la question de la paix au Burkina.
Nonobstant la défiance des acteurs burkinabés à l’égard des médiateurs et en dépit des qualificatifs dont ils usent à l’endroit du projet d’accord de sortie de crise des présidents ouest-africains, la réunion extraordinaire se tiendra le 22 septembre 2015, en Abuja au Nigéria. Envers et contre tous ! Car, il faut rappeler que le contenu de l’accord est jugé à la fois « inacceptable » et « honteux ». A l’ordre du jour, un seul point : l’examen du « projet d’accord » de règlement de la crise burkinabé. Oui ! Celui-là même qui n’a jamais été discuté par les protagonistes. Proposé par les seuls médiateurs, d’ores et déjà repoussé par tous les acteurs y compris le CDP, parti de Blaise COMPAORE et partant, sans légitimité aucune, puisque non consensuel, cette réunion aura permis de révéler au grand jour les basses manœuvres politiques et de dévoiler les réelles aspirations : la restauration de l’ordre ancien par la remise en selle des candidats de l’ex-homme fort de Ouagadougou. Aucun égard ne sera réservé au peuple burkinabé qui, hébété mais pas tétanisé, aux cotés d’une société civile africaine, debout comme un seul homme, médusée et révoltée, se mobilisera pour inverser le rapport de force. Ce faisant, cette circonstance aura contribué à révéler la profondeur du fossé entre les dirigeants politiques de la communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest et leurs peuples. C’est assurément à ce changement de paradigme que nous devons l’issue qu’a connu ce coup de force. Ce qui n’est pas, du reste, sans poser la question de la légitimité de l’oligarchie actuelle et de l’acceptation des décisions à venir.
4- Le réveil du peuple et de son armée
L’exclusion en politique est aussi vieille que la seconde guerre mondiale. Rappelons-nous le sort de pays comme le Japon, l’Allemagne et l’Italie au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne a été « balkanisée ». Son territoire a été divisé en quatre parties, placé sous tutelle, ce, en application des décisions prises par les Alliés au sortir de la conférence de Potsdam. Ces quatre « Balkans » ont été soumis à la surveillance des quatre puissances occupantes[29]. Dans la partie occupée par les Américains et leurs alliés dans cette Allemagne d’après seconde guerre mondiale, il a été établi « des listes de personnalités non compromises avec le nazisme ». Toutes les personnes qui ont été considérées et identifiées comme ayant eu des liens étroits avec le nazisme ou ont été des acteurs à l’origine de la seconde guerre mondiale, ont été exclues de toute participation politique et citoyenne. A la conférence de Yalta (4-11 février 1945), l’objectif poursuivi par les alliés visaient à « anéantir le militarisme et le nazisme allemands et de faire en sorte que l’Allemagne ne puisse plus jamais troubler la paix mondiale »[30] par son attitude guerrière, brutale et expansionniste. Le Japon, l’Allemagne et l’Italie ont été exclus de la société des nations (ONU) et interdits de constituer des armées dignes de ce nom, de se doter de l’arme nucléaire et d’être membres du Conseil de sécurité et de disposer du droit de veto. Pour ce qui est de l’Italie, l’accès à l’Organisation des Nations Unies lui a été refusé, même lorsque ce pays a demandé à être simple observateur. Le veto russe l’en a empêché[31]. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, « l’Italie était maintenue dans la condition de pays vaincu, rétrogradée dans une position de second rang, étouffée par la hiérarchie instaurée par la guerre entre les pays »[32].
Les allusions systématiques à la seconde guerre mondiale et au nazisme dans le présent « billet » ne s’expliquent que par le seul besoin de mettre en avant au moyen de faits historiques réels, récents la régularité d’un acte politique décisionnel. C’est aussi pour justifier la cohérence des mesures d’«exclusion » comme étant une sanction politique d’éventuelles incartades et déviances d’acteurs politiques. Très généralement en Afrique, les « vainqueurs » en politique s’acharnent sur leurs adversaires, comme des « proies » faciles à abattre au nom d’une « légitimité » somme toute fragile et précaire. Les comptes des adversaires politiques « vaincus » étaient réglés au moyen d’une vendetta populaire ou d’une justice instrumentalisée dressée à leur encontre. Les « perdants » du pouvoir politique deviennent très vite des victimes expiatoires. Une telle pratique doit cesser en Afrique. Elle doit laisser la place à la sanction politique sur la base du droit et de la loi.
12- L’après coup d’Etat et le sort du Burkina Faso et des « violeurs de la loi »
Aucune compassion ne devrait amener à passer l’éponge sur le comportement des personnes qui seraient reconnues coupables d’actes assimilables à un changement anticonstitutionnel. Les actes qui ont été perpétrés à Ouagadougou du 16 au 23 septembre 2015 sont d’une extrême gravité. La CEDEAO et ses médiateurs devraient entendre les aspirations profondes du peuple burkinabé avant toute autre appréciation qui serait incongrue et inadéquate. Envisager de voter une loi d’amnistie pour des crimes abominables équivaut à la promotion de l’impunité. A une période où l’Afrique et le Président Macky SALL s’acharnent sur le Président Hissein HABRE pour le déférer par-devant une juridiction sui generis, il serait inconvenant que la demande insistante d’amnistie n’émane que du seul Président de la conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO[33]. Tout comme il est incongru d’envisager de violer la décision du Conseil constitutionnel du Burkina pour ce qui est de l’invalidation des candidatures de certaines personnalités du CDP et de ses alliés. Sur ce plan, aucune appréciation politique sur fond de mise en œuvre du principe d’équité ne devrait anéantir ou occulter la faute politique. Elle est évidente. C’est au nom de cette faute politique que le Président Blaise COMPAORE se trouve, sans doute contre son gré, exilé en Côte d’Ivoire. C’est également pour des motivations évidentes de politique intérieure, qu’il ne peut pas revenir de si tôt au Burkina. Il est d’ailleurs regrettable que cet exil doré ne soit pas allé plus loin, au-delà de la Côte d’Ivoire et de la sous région, voire du contient. La présence de Blaise COMPARE non loin du Burkina n’est pas toujours sans incidences quant aux influences sur les questions de politique intérieure. Or, son pays a besoin de plus de calme et de sérénité aujourd’hui pour maintenir la paix et la sérénité. Dans un contexte d’ordre public troublé, l’accalmie est nécessaire à la poursuite d’une transition politique en vue d’installer les institutions démocratiques nouvelles. Ce n’est que dans un tel contexte qu’il sera possible de poursuivre le processus entamé. C’est dans le souci de bâtir l’unité et la cohésion nationales dans un esprit de patriotisme affirmé que les auteurs du coup d’Etat au Burkina et leurs complices devraient faire sienne cette citation : « Une faute qui se paie par une souffrance pèse moins à la conscience délicate que celle qui paraît impunie »[34].
Mamadou Ismaila KONATE
Avocat à la Cour
Président de Génération Engagée
[1] http://www.lefaso.net/spip.php?article67063
[2] http://www.rfi.fr/afrique/20150921-burkina-faso-interview-michel-kafando-coup-etat
[3] http://fr.africatime.com/burkina_faso/articles/le-chef-de-la-diplomatie-senegalaise-surpris-de-la-reaction-de-m-kafando
[4] http://jdd.moutsinga.over-blog.com/2015/09/communique-des-chefs-de-corps-des-forces-armees-nationales-du-burkina-faso.html
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Moro_Naba
[6] http://www.zoodomail.com/spip.php?article11178
[7] http://www.rfi.fr/emission/20150924-roch-marc-christian-kabore-inopportun-amnistie-burkina-mpp-loi-electorale
[8] http://fr.africatime.com/burkina_faso/articles/la-cote-divoire-reste-volontairement-prudente-sur-la-situation-au-burkina-porte-parole-du
[9] http://www.peaceau.org/uploads/cps-544-comm-burkina-faso-18-9-2015.pdf
[10] 18 septembre 2015
[11] http://www.rfi.fr/afrique/20150918-burkina-faso-union-africaine-ketende-putsch-coup-etat-diendere-terroristes-junte-tr
[12] http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/interactif-afrique-plus-de-200-coups-d-etat-depuis-les-annees-1950-18-09-2015-5104321.php
[13] Article 23
[14] On en dénombre au moins une dizaine selon les informations hospitalières
[15] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/21/un-coup-d-etat-n-est-jamais-souhaitable-mais-au-burkina-c-etait-necessaire_4765945_3212.html
[16] https://www.facebook.com/profile.php?id=100008644021407&fref=ts
[17] Régiment de Sécurité Présidentielle, corps d’élite dédié en son temps à la protection rapprochée du Président Blaise COMPAORE
[18] Congrès pour la Démocratie et le Progrès, parti du Président Blaise COMPAORE
[19] Article 23 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Election et de la Gouvernance : qui assimile « tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui portent atteinte au principe de l’alternance démocratique » à un changement anticonstitutionnel de gouvernement, passible de sanctions.
[20] https://fr.wikipedia.org/wiki/Blaise Compaoré
[21] Conseil National de la Transition faisant office de parlement de transition
[22] http://www.lefaso.net/spip.php?article65825
[23] Article 2 de la Charte africaine de la démocratie, de la bonne gouvernance et des élections
[24] http://www.oecd.org/fr/csao/publications/39466688.pdf
[25] Voir décision Hissein HABRE/Etat du Sénégal
[26] J’ai été avocat ayant déféré l’Etat du Sénégal par-devant la Cour de Justice de la CEDEAO
[27] http://www.lefaso.net/spip.php?article67063
[28] http://www.rfi.fr/emission/20150715-laurent-bigot-burkina-peuple-decider-cedeao-compaore-gbagbo-cote-ivoire
[29] Https://fr.wikipedia.org/wiki/Bilan_de_la_Seconde_Guerre_mondiale
[30]https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_de_l%27Allemagne_après_la_Seconde_Guerre_mondiale
[31]http://www.europeanlegalcultures.eu/fileadmin/site_files/Boursiers/Valentina_Vardabasso/Communication_Vardabasso.pdf
[32] Idem
[33] Selon le Général DIENDERE «L’amnistie nous a été proposée par la Cedeao, nous l’avons accueillie favorablement » – See more at : http://fr.africatime.com/burkina_faso/articles/promesses-damnistier-les-putschistes-du-rsp-revelations-du-general-gilbert-diendere#sthash.PbT0Ok19.dpuf
[34] Citation de Henri-Frédéric Amiel ; Journal intime, le 17 novembre 1849. Read more at http://www.mon-poeme.fr/citations-faute/#E3HUdXgMOtjdTV7j.99
Faire un commentaire