Me Mamadou Ismaila KONATE

L’ABCD’aire sur l’état d’urgence au Mali

Par Décret N° 2013-033/P-RM du 11 janvier 2013, le Gouvernement de la République du Mali a déclaré, à compter du samedi 12 janvier 2013 minuit« l’état d’urgence » sur « toute l’étendue du territoire national ».

En l’absence de toute autre motivation précisée dans ledit décret, il apparaît clairement que cette mesure est justifiée par les dernières évolutions des graves évènements qui se déroulent sur le terrain au Nord-Mali. Le Gouvernement a dont décidé de faire usage des dispositions de l’article 49 de la Constitution de 1992. L’état d’urgence est régi par la Loi N° 87-49/AN-RM du 4 juillet 1987.

Il intervient en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » mais aussi en cas de « menées subversives compromettant la sécurité intérieure », ou en cas « d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique ». L’ensemble des pouvoirs susceptibles d’être exercés en situation d’état d’urgence sont énumérés dans les dispositions des articles 7 à 17 du texte précité. De manière plus générale, l’état d’urgence  entraine la suspension de l’exercice des droits fondamentaux, le temps nécessaire pour permettre de faire face à la situation de crise qui est née au Nord du Mali mais, par ricochet, sur l’ensemble du territoire de la République.

 

Ce dispositif est mis en œuvre selon une procédure qui passe par une délibération conseil des ministres. L’état d’urgence est plus spécifiquement réservé aux situations qui représente une « moindre gravité ». Il se traduit par une restriction moins importante des libertés publiques et ne peut, à la différence de l’état de siège, entraîner la substitution des autorités militaires aux autorités civiles, ni même la subordination de celles-ci aux premières.

Vu sous un tel angle, la loi qui régit cette matière veille à ce que la mesure de l’état d’urgence ne soit utilisée par le pouvoir exécutif à d’autres fins, notamment pour porter atteinte à l’ordre constitutionnel démocratique, déjà précaire dans notre pays.

a- Les conditions pour décréter l’état d’urgence

Seules, les situations suivantes justifient la déclaration de l’état d’urgence :

– péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ;

– menées subversives compromettant la sécurité intérieure ;

– évènements graves ayant un caractère de calamité publique.

b- La procédure devant être mise en oeuvre

La déclaration de l’état d’urgence relève de la compétence du seul Président de la République, en l’occurrence le Président de la République par intérim dans le cas d’espèce du Mali. Cette prérogative présidentielle trouve sa source dans le texte de la disposition contenue à l’article 29 de la Constitution, qui fait du président de la République le garant « de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des Traités et Accords internationaux ».

L’état d’urgence est décrété par le président de la République, après délibération en Conseil des Ministres. Il n’y a aucune obligation pour le Président de la République de demander au préalable une autorisation à quelque autre autorité ou institution. Il peut, cependant, dans une dynamique de « courtoisie républicaine » informer le Président de l’Assemblée nationale, ce qui reste une faculté. Par contre, si la durée initiale de l’état de siège, fixée à dix jours devrait se prolonger, la loi oblige le gouvernement de saisir préalablement  le parlement, article 72 de la constitution de 1992 : « L’état d’urgence et l’état de siège sont décrétés en Conseil des Ministres.

Leur prorogation au-delà de dix jours ne peut être autorisée que par l’Assemblée Nationale ».

L’autorisation de prorogation de la durée de l’état d’urgence est examinée par le parlement, du point de vue du principe, mais également par rapport à la nature des mesures qui peuvent être prises. En effet, la loi autorisant la déclaration d’état d’urgence doit préciser toutes les caractéristiques du dispositif, en particulier, l’aire géographique concernée, ainsi que la durée et la nature exacte des dérogations apportées à l’ordre constitutionnel habituel.

La durée de l’état d’urgence, limitée au minimum nécessaire pour obtenir le rétablissement d’une situation normale.

L’Assemblée Nationale contrôle l’application des mesures prises pendant l’état d’urgence. Par rapport à la situation de notre pays, il sera nécessaire de convoquer immédiatement avant le terme du délai de dix jours (22 janvier 2013 à minuit) l’assemblée nationale en session extraordinaire et urgente.

c- Les effets produits par l’état d’urgence

Le principe de proportionnalité exige que les mesures entraînées par l’état d’urgence soient limitées au strict minimum : non seulement quant à leur durée et à leur aire d’application, mais aussi par rapport à leur ampleur.

La déclaration de l’état d’urgence doit donc énoncer « les droits, les libertés et les garanties dont l’exercice est suspendu ». Le décret précité indique les pouvoirs visés par la Loi N°87-49 précitée et qui sont spécifiquement conférés aux autorités administratives :

–                    article 14 alinéa 1 : le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tous lieux de jour et de nuit ;

–                    article 15 : le pouvoir de prononcer l’internement administratif des personnes dont l’activité présente un danger pour la sécurité publique pour une durée ne pouvant dépasser un mois, renouvelable une seule fois pour la même période. Cette mesure est prise sous le contrôle d’une commission consultative dont il est à douter qu’elle existe en ce moment-ci ;

–                    article 16 : le pouvoir de prendre toutes dispositions relatives au contrôle des correspondances, postales, télégraphiques et téléphoniques ; la loi n’ayant pas été mise au gout des nouvelles technologies de l’information et de la communication, il semble que les correspondances échangées au moyen de l’électronique échappent pour l’heure à l’état d’urgence ;

–                    article 17 : le pouvoir de muter ou de suspendre tout fonctionnaire ou tout autre agent de l’Etat ou des collectivités locales, tout agent des établissements publics ou des services publics de l’Etat ou des collectivités locales exploitées en régie ou par voie de concession dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité publique.

D’après la Constitution, l’état d’urgence ne doit en rien « compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale ». En effet, quelles que soient les circonstances, certains droits fondamentaux ne peuvent pas être suspendus. Il s’agit des droits à la vie, à l’intégrité morale et physique, à l’identité personnelle, à la capacité civile, à la citoyenneté, du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, des droits de la défense, ainsi que de la liberté de conscience et de religion.

Par ailleurs, en cas de suspension de l’exercice des droits fondamentaux, les garanties suivantes doivent être respectées :

– les mesures prises doivent être conformes aux principes d’égalité et de non-discrimination ;

– les juges d’instruction doivent avoir communication de toutes les assignations à résidence et de toutes les détentions consécutives à la violation des règles de sécurité en vigueur pendant l’état d’urgence ;

– les perquisitions domiciliaires et les autres moyens de preuve mis en oeuvre doivent faire l’objet d’un procès verbal simplifié, établi en présence de deux témoins, si possible résidant à proximité du lieu concerné, le procès verbal devant être communiqué au juge d’instruction accompagné d’un dossier ;

– des restrictions de circulation peuvent être édictées ;

– la diffusion des publications écrites et des émissions de radiodiffusion et de télévision peut être suspendue, les salles de spectacle peuvent être fermées, certaines publications peuvent être saisies, mais aucune mesure de censure préalable ne peut être prise ;

– les restrictions apportées au droit de réunion ne peuvent pas affecter les réunions des organes statutaires des partis politiques, des syndicats et des associations, ces réunions ne pouvant être ni interdites ni subordonnées à une autorisation préalable ;

– les citoyens gardent la possibilité de saisir les tribunaux, qui veillent au respect de la légalité.

Les personnes qui ont été lésées à cause de l’état d’urgence sont indemnisées selon les règles du droit commun.

L’état d’urgence peut également se traduire, en cas de besoin, par le renforcement des pouvoirs des autorités administratives civilesle cas échéant avec l’appui des forces armées. La déclaration de l’état d’urgence doit préciser ces deux points.

En aucun cas, les règles constitutionnelles relatives à la compétence et au fonctionnement des pouvoirs publics ne peuvent être affectées. Du reste, pendant la durée de l’état d’urgence, l’Assemblée Nationale ne peut être dissoute et la Constitution ne peut être révisée.

 

Mamadou Ismaila KONATE (mko@jurifis.com),

Avocat à la Cour,

Cabinet Jurifis Consult, Bamako, Mali

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