Me Mamadou Ismaila KONATE

DE LA NÉCESSAIRE SUSPENSION DES ÉLECTIONS LOCALES AU MALI ET DE LA MISE EN PLACE D’«ORGANES DE TRANSITION LOCALE » NOMMÉS.

Elections le 25 octobre ou pas d’élections et ce serait pour plus tard !

Comme par le passé, l’organisation et la tenue régulière des scrutins constituent une pomme de discorde permanente. Le scrutin devant avoir lieu pour l’élection des représentants des collectivités locales parait quasi impossible à échéance fixée par l’Etat et le Gouvernement : 25 octobre 2015.

Trois raisons sont généralement invoquées par les nombreux acteurs et observateurs politiques pour justifier d’une part de l’impossibilité de tenir ces élections locales et régionales et, d’autre part, de mettre en évidence la nécessité de suspendre la date du 25 octobre fixée pour la tenue des élections locales.

– En premier, les partisans du report du scrutin mettent en avant la « désorganisation sociale » actuellement perceptible dans notre pays en général et, à bien des endroits du territoire national, ce qui ne milite pas à leurs yeux, en faveur de l’affirmation de l’autorité de l’Etat et de la marque de la présence réelle et effective de ses représentations sur toute l’étendue du territoire national ;

–   En second, les mêmes avancent le faible niveau de sécurité sur le territoire, loin d’être rassurant et satisfaisant, ce qui est pour eux, une réalité malheureuse qui se constate sur l’ensemble du territoire national et ne permet pas d’assurer véritablement le retour des réfugiés sur leurs zones d’habitation ou leur principal lieu d’établissement, véritable priorité pour les actions pertinentes en faveur du retour à la paix ;

–   En troisième et dernier, ils dénoncent le retard pris dans la mise en œuvre de l’Accord d’Alger depuis la signature de ce texte, notamment pour ce qui est des accords politiques en faveur des communautés et régions du nord qui y sont conclus et qui sont loin d’être effectifs…

C’est bien en profitant de cette situation peu reluisante que les groupes rebelles, réunis au sein de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) ont cru devoir tirer la sonnette d’alarme, menaçant (comme à leurs vieilles habitudes chaque fois qu’ils sont en difficulté ou font preuve de totale mauvaise foi) d’empêcher la tenue du scrutin par des menaces proférées à l’endroit de tous candidats qui voudraient se rendre dans les localités « sous leurs contrôles », pour y mener campagne.

Les forces politiques « républicaines » ont à leur tour, toutes obédiences confondues, fait la demande au ministre de l’administration du territoire de repousser la date du 25 octobre 2015. Ils ont demandé qu’une nouvelle date pour l’ouverture du scrutin en vue des élections locales soit fixée au terme d’une large consultation.

Au plan politique, les élections locales, particulièrement celles qui sont envisagées dans ces périodes  post « Accord d’Alger » révèlent une réelle importance pour notre pays. Pour cette raison principalement, ces élections qui étaient prévues depuis fort longtemps devraient se tenir à date. Nul ne saurait nier leurs importances et les incidences au triple plan politique, social et institutionnel.

Elles impacteront nécessairement sur la nouvelle composition des structures communautaires de représentation politique locale qui seront fondamentalement recomposées. Du point de vue de la nouvelle représentation des forces politiques sur le terrain, les incidences du scrutin devront être nettement perceptibles, notamment pour ce qui est des rapports de force politique réels, du poids et de la légitimité des acteurs à la suite des nouvelles alliances sur le terrain, consécutivement aux nouvelles reconfigurations, mais aussi face à l’émergence de nouvelles forces dont celles probables des mouvements de rébellion qui auront besoin de s’affirmer davantage sur un échiquier politique rénové.

Bien d’autres incidences devront aussi être perceptibles au plan de l’affirmation du patrimoine local, de la culture démocratique, sans compter que les attentes et les pratiques des populations locales seront en profonds bouleversements, en quête de bâtir une nouvelle sociologie politique.

Pour toutes ces raisons et face aux enjeux énormes de cette élection, l’on comprend aisément et plus facilement la détermination du gouvernement du Mali à vouloir coute que coute organiser le scrutin à date indiquée. Pour autant, cette raison ne doit empêcher de prendre en considération et d’évaluer les conséquences néfastes qui peuvent ou qui sont susceptibles de découler de la tenue de ces élections dans une atmosphère comme celle qi prévaut actuellement dans le pays. Au regard des nombreuses actions entreprises en vue d’atteindre l’objectif de paix, d’unité et de concorde nationales, plus rien ne devrait ébranler un tel objectif.

AFP PHOTO / HABIBOU KOUYATE

Cette dernière considération devrait plutôt conduire le gouvernement du Mali à se raviser et à tenir davantage compte au nom du « principe de précaution » nécessaire pour préserver la paix et la quiétude sociale. Il doit dans ce cadre, prendre toutes les mesures qui tendent à suspendre immédiatement l’ouverture du scrutin. Par la suite, il devrait ouvrir de larges concertations politiques et sociales en vue de convenir de nouvelles dates à fixer. Ces nouvelles échéances devraient être les plus convenables, réalistes, propices et fixées en considération seulement de situations appréciées objectivement et sereinement.

Une telle option permet d’éviter de tenir des « élections bâclées » dans les régions déjà sous fortes « tensions sociales et politiques » sans compter tous les risques de contestation des résultats desdites élections, ce qui sera une source intarissable d’instabilités susceptibles de conduire à une crise politique majeure.

AFP PHOTO / HABIBOU KOUYATE

Pour appeler à tenir ces élections malgré les situations malheureusement décrites, il se trouvera toujours des esprits solitaires, altruistes et malavisés pour avancer des arguments favorables. Cela est aussi normal et même acceptable en démocratie que d’avoir des voix discordantes et qui soient audibles même en dissonance. L’argument qui consiste à tenir les élections sur la base des dispositions de l’Accord d’Alger, particulièrement celles contenues à l’annexe 1 dudit texte sont contestables. C’est une malveillance que de vouloir régler cette question par les dispositions de l’Annexe 1 de l’Accord d’Alger. Celles-ci traitent des «mesures intérimaires » devant être mises en œuvre « immédiatement » après la signature de l’Accord. Plutôt que d’organiser des élections, ces mesures visent entre autres à « favoriser la mise en place de conditions de nature à réconcilier les Maliens, et à jeter les bases d’un Mali nouveau, démocratique et uni grâce entre autres, à la promotion de la paix, de la démocratie et de l’acceptation de la diversité culturelle. Elle permettra également d’assurer le retour, la réinstallation et la réinsertion des maliens vivant hors du territoire national ainsi que la réhabilitation des sinistrés». Les « bonnes solutions » savamment « muries » ne devraient pas venir contrarier la recherche de la paix et de la cohésion.

Mais une chose est de demander le report du scrutin, une autre consiste à offrir des solutions originales et acceptables en vue de combler le vide qui nait de la situation de « transition » qui s’ouvre.

Se pose la question de la suite administrative de la représentation des collectivités locales. D’un point de vue politique et dans un souci d’équité, les représentants dont les mandats seront arrivés à échéance ne devraient plus pouvoir poursuivre ni se maintenir à la tête des collectivités. L’administration et les acteurs politiques devraient convenir des conditions et nouvelles modalités pour installer les « organes de transition » qui seront chargés d’administrer les collectivités locales dans le temps qui sera imparti.

Une telle perspective devrait exclure toutes autres démarches qui consistent par exemple, comme cela s’est présenté par le passé, à reconduire les mandats des personnes et/ou des organes anciennement élus. Tout comme il paraît important d’exclure également les « délégations spéciales » comme cela s’est également par le passé. Les « délégations spéciales » ont une triste histoire en qu’elles ont permis à certaines « autorités » installées, de dilapider les deniers publics locaux dans des conditions inacceptables et intolérables et souvent sans aucune véritable suite. Enfin, toutes autorités poursuivies ou ayant fait l’objet de condamnation durant les dix dernières années devraient en être exclues.

Le ministre de l’Administration territoriale, Abdoulaye I Maiga

Dès lors, le génie de l’administration, des acteurs politiques et de leurs partenaires devrait se réveiller pour proposer d’autres modes alternatifs de gestion et d’administration des affaires locales durant cette phase de transition. Il s’agira par exemple de mettre en place des organes d’administration et de gestion des collectivités qui soient les plus représentatifs des courants politiques, des environnements locaux, des sociétés civiles composées de notables, de gens du culte, de la culture et des corporations et associations professionnelles. L’objectif de rechercher une plus grande représentativité locale pourrait tirer substance du niveau de présence locale des partis politiques en termes d’adhérents locaux, sur la base des scores obtenus individuellement par les partis aux dernières élections locales. Cette base pourrait être pondérée et complétée par une représentation des membres des différentes sociétés civiles, de l’administration locale et des autres composantes sociales locales sous des angles et des formats à définir.

Trois collèges pourraient former l’exécutif local. Autour du collège politique en premier et devant occuper la majorité des sièges (60 %) par exemple, le collège société civile (30 %) et celui de l’administration (10 %).

Les missions des collectivités ainsi que leurs modalités d’exécution leur seront dévolues après que ces « organes de transition » aient prêté serment par-devant la juridiction locale ou celle la plus proche, sur la base d’un texte du serment à convenir.

Cliquez ici pour télécharger cet article en pdf.

Mamadou Ismaila KONATE

Avocat à la Cour,

Président de Génération Engagée

Faire un commentaire