Par Mamadou Ismaila KONATE, avocat à la Cour, Barreaux du Mali et de Paris, arbitre, ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice
mko@jurifis.com
L’Afrique, riche de sa diversité économique et culturelle, est aujourd’hui au cœur des enjeux du commerce international et des investissements transfrontaliers. Avec la création de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), le continent s’engage dans une dynamique d’intégration économique sans précédent, qui repose largement sur la fluidité des transactions financières et le rôle fondamental des banques. Les banques africaines, qu’elles soient locales, régionales ou filiales de groupes internationaux, jouent un rôle stratégique dans cette transformation. Elles facilitent les échanges commerciaux, financent les projets d’infrastructure et servent de pont entre les économies locales et les marchés mondiaux. Sinon, comment s’imaginer que la production de coton, d’or ou d’uranium dont sont producteurs le Burkina Faso, le Mali et le Niger se vende sur un marché autre que le leur ?
Cependant, dans ce contexte d’expansion économique, les banques africaines se retrouvent parfois au cœur de litiges liés à leur rôle d’intermédiaires financiers, (même s’il leur arrive de prendre des risques inutiles et démesurés, pour un gain infime). Ces litiges peuvent porter sur des garanties bancaires, des crédits documentaires ou des transferts internationaux, voire à l’occasion d’intermédiation bancaire. La résolution de ces litiges soulève des questions complexes sur la responsabilité des banques dans les transactions internationales aussi bien par-devant le juge judiciaire qu’en arbitrage. Il est donc essentiel de réfléchir à la manière dont les juges, les procureurs, mais aussi les arbitres abordent ces questions, en tenant compte des spécificités juridiques et économiques du continent africain et les appréhendent surtout.
Cet article de circonstance, propose d’examiner, à chaud, la responsabilité bancaire dans un contexte africain qui englobe le Mali et les autres pays de l’UEMOA. Ces pays ont en commun une banque centrale et une monnaie unique, ce qui met en lumière le sujet des best practices ou bonnes pratiques bancaires en français et les principes juridiques qui encadrent cette activité (I). Nous analyserons les limites évidentes de cette responsabilité dans le cadre des transactions internationales et des litiges transfrontaliers (II). Cette réflexion s’appuie sur les lois et règlements en vigueur dans plusieurs pays africains, ainsi que sur la jurisprudence et les normes internationales applicables.
I. Le rôle du banquier africain : cadre juridique et bonnes pratiques bancaires
A. Le banquier africain comme acteur clé des transactions internationales
Les banques africaines, en tant qu’acteurs majeurs du système financier mondial, jouent un rôle crucial dans les transactions internationales, encore plus en afrique. Elles interviennent notamment dans l’émission de garanties bancaires, le financement du commerce extérieur (via les crédits documentaires) et la facilitation des paiements transfrontaliers et l’intermédiation. Ces opérations sont encadrées par des normes internationales, telles que les Règles et Usances Uniformes (RUU) pour les crédits documentaires et les Règles Uniformes relatives aux Garanties sur Demande (RUGD), élaborées par la Chambre de Commerce Internationale (CCI). Ces normes, bien que non contraignantes juridiquement, sont largement adoptées par les banques africaines pour assurer la sécurité et la prévisibilité des transactions.
Sur le continent africain, les cadres juridiques nationaux et régionaux viennent compléter ces normes internationales. Par exemple, dans les dix-sept pays membres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), le droit uniforme des affaires régit plusieurs aspects des transactions bancaires, notamment à travers l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sûretés qui n’en est pas le moindre. Ce texte établit des règles claires sur les garanties et les engagements bancaires, contribuant ainsi à harmoniser les pratiques dans l’espace OHADA.
B. La responsabilité bancaire strictement encadrée par le droit africain
La responsabilité des banques africaines est strictement encadrée par les lois nationales et régionales. En vertu des principes généraux du droit civil et commercial en vigueur dans de nombreux pays africains, la responsabilité d’une banque ne peut être engagée qu’en cas de faute prouvée. Cette faute peut résulter d’une négligence dans l’exécution des obligations contractuelles, d’une violation des normes professionnelles, d’une imprudence ou d’une fraude.
Dans le cadre des crédits documentaires, par exemple, les banques sont tenues de vérifier les documents présentés par les parties conformément aux termes du crédit qui est le cadre qui lie la banque et son client. Il est la loi des parties.
Du coup, la responsabilité de la banque ou du banquier ne peut être engagée pour des éléments échappant à leur contrôle, tels que la qualité des marchandises ou la bonne exécution du contrat commercial sous-jacent. Ce principe a été confirmé par plusieurs décisions de justice en Afrique, notamment dans l’espace OHADA, (y compris au Mali même si la jurisprudence en la matière, loin d’être homogène et harmonisée, bégaye quelque peu en fonction de la juridiction, de l’instance et des enjeux de l’affaire) où les juges ont rappelé que la banque n’est pas partie au contrat commercial principal et n’a pas à en garantir l’exécution.
De même, dans le domaine des garanties bancaires, qu’elles soient émettrices, garantes, contre garantes ou qu’elles agissent en intermédiation, les banques africaines sont protégées par le principe de l’autonomie des garanties. Ce principe général du droit bancaire stipule que la garantie bancaire est indépendante du contrat principal. Et cela, il faut que les juges l’entendent, que les parquets le comprennent et que les parties, notamment les clients des banques cessent de s’étonner quant à la signification de ce principe.
C’est en raison de sa pertinence et de son évidence que ce principe est reconnu par les RUGD et adopté dans de nombreux systèmes juridiques africains, dont celui du Mali et des pays l’UEMOA. Il limite la responsabilité de la banque aux termes stricts de la garantie, sauf en cas de fraude manifeste.
L’hypothèse de la fraude, en tant que situation exceptionnelle, constitue l’unique motif pouvant exposer un banquier à des sanctions pénales, voire à une peine d’emprisonnement en matière de transactions commerciales. Cependant, il est impératif que cette éventualité soit traitée avec la plus grande prudence par le juge, afin d’éviter toute interprétation abusive ou malveillante. Si la fraude est envisagée, il convient de distinguer clairement la responsabilité individuelle du banquier, en tant que salarié ou mandataire, de celle de l’institution bancaire qu’il sert, laquelle opère dans un secteur strictement encadré et régulé. En cas de faute, c’est donc l’institution qui doit répondre en premier lieu, bénéficiant d’une obligation légale de couverture des risques professionnels liés aux opérations bancaires. Cela n’exclut pas pour autant un recours éventuel de la banque contre son employé ou mandataire, au travers d’une action récursoire. Néanmoins, dans l’intérêt de la justice et sans encourager une quelconque impunité, il est fondamental de préserver la personne du banquier de sanctions excessives ou injustifiées, en veillant à une appréciation lucide et équitable des faits.
II. Les limites de la responsabilité bancaire dans le commerce international africain
A. Les défis spécifiques des transactions internationales en Afrique
Les transactions internationales en Afrique sont souvent marquées par une complexité accrue, due à des facteurs tels que la diversité des systèmes juridiques, les différences linguistiques et culturelles, et la faiblesse des infrastructures financières dans certains pays. L’indice de risque de fraude n’est pas négligeable non plus.
Ces défis peuvent donner lieu à des malentendus ou à des litiges impliquant les banques.
Prenons l’exemple d’une banque basée au Sénégal, émettant une garantie bancaire pour une entreprise ivoirienne dans le cadre d’un projet de construction au Mali, avec une contre-garantie émise par une banque marocaine. Si le projet échoue en raison de problèmes politiques ou économiques, la responsabilité de la banque sénégalaise pourrait être mise en cause. Cependant, pour engager cette responsabilité, il faudrait prouver que la banque a commis une faute caractérisée, par exemple en émettant une garantie sans s’assurer de la capacité financière de l’entreprise ivoirienne.
Dans un autre exemple, une banque éthiopienne pourrait être accusée de négligence si elle accepte des documents falsifiés dans le cadre d’un crédit documentaire. Cependant, conformément aux RUU, la banque n’est tenue de vérifier que la conformité apparente des documents, et non leur authenticité. Cette distinction est essentielle pour protéger les banques contre des réclamations abusives.
Dans cet exemple complexe, l’intervention d’une banque de Dubaï pour garantir un marché de construction au Soudan illustre les interactions internationales souvent nécessaires pour encadrer des projets d’envergure. En mobilisant différents correspondants, notamment à Londres et au Rwanda, pour transmettre via Swift et confirmer l’authenticité des garanties émises, la chaîne bancaire joue un rôle crucial dans la sécurisation des transactions. Cependant, la liquidation judiciaire de l’entreprise émettrice de la garantie soulève des questions sur la validité de cette dernière et sur la responsabilité des intermédiaires bancaires. Bien qu’il soit légitime de chercher la responsabilité de la banque notificatrice dans un État de droit, celle-ci ne peut être engagée qu’en cas de faute avérée, comme une fraude ou une collusion avec l’entreprise émettrice. Ces conditions mettent en lumière la rigueur nécessaire dans la gestion des garanties bancaires internationales, tout en rappelant que les cas de responsabilité établie des banques restent relativement rares, témoignant souvent d’une vigilance accrue dans ce domaine.
B. La jurisprudence africaine sur la responsabilité bancaire
La jurisprudence africaine a progressivement clarifié les contours de la responsabilité bancaire dans les transactions internationales. Dans plusieurs affaires, les juges ont rappelé que la banque agit comme un intermédiaire neutre et que sa responsabilité ne peut être engagée que si elle a manqué à ses obligations professionnelles ou contractuelles.
Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA, la responsabilité d’une banque camerounaise a été écartée au motif qu’elle avait respecté les termes du crédit documentaire et les normes professionnelles en vigueur. La cour a souligné que la banque n’avait pas à vérifier la qualité des marchandises ou la solvabilité des parties au contrat commercial.
De même, dans une affaire impliquant une banque sud-africaine, les juges ont confirmé que la banque ne pouvait être tenue responsable des pertes subies par une entreprise exportatrice en raison de la défaillance de son partenaire commercial, dès lors que la banque avait respecté les termes de la garantie bancaire.
Conclusion
Les banques africaines occupent une place stratégique dans le développement économique du continent, en assurant la fluidité des transactions financières et en inspirant confiance aux acteurs économiques. Toutefois, leur rôle de tiers de confiance nécessite un cadre juridique clair et stable, adapté aux réalités africaines et respectueux des normes internationales, telles que celles de l’OHADA. Les juges et procureurs, garants de la justice, doivent s’efforcer de trouver un juste équilibre entre la protection des droits des parties et la préservation de « l’ordre public bancaire », évitant ainsi une judiciarisation excessive qui pourrait entraver l’initiative économique et miner la confiance dans le système bancaire. Le respect des bonnes pratiques, couplé à une approche mesurée des litiges, est essentiel pour consolider un environnement propice à la croissance économique. En effet, la crédibilité des banques repose sur leur stabilité et leur capacité à répondre efficacement aux attentes des clients. Une mise en cause abusive ou disproportionnée, telle qu’une garde à vue ou un mandat de dépôt, pourrait nuire durablement à leur réputation et compromettre leur rôle clé dans la société. Il est donc crucial que les institutions judiciaires, en collaboration avec les pouvoirs publics, contribuent à renforcer la sécurité et la prévisibilité du cadre bancaire, pour permettre aux banques de continuer à soutenir le développement économique africain dans un climat de confiance et de sérénité.
Faire un commentaire